Article dans les Freiburger Nachrichten

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paru début mars 22

Voici quelques semaines que les deux Singinoises Yvette El Fen et Blanca Jungo sont rentrées du Togo, en Afrique. Fatiguées, car le voyage a été plus long et plus compliqué à cause du covid, mais heureuses d’avoir pu faire un grand pas en avant pour leur projet d’entraide dans la région de Sotouboua.

Leur institution pour les enfants des rues, les orphelins et les veuves, créée il y a 15 ans et peu à peu développée par Yvette El Fen, dispose désormais de son propre courant électrique, grâce à des panneaux solaires posées sur une partie des bâtiments.

Du soleil, il y en a plus qu’assez dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Quand les deux femmes étaient sur place, il faisait jusqu’à 40 degrés, et l’air saturé de sable du désert asséchait très vite les gosiers européens. En tout cas, pour des Singinois, le climat est très inhabituel !

Maintenant, précisément, le pays se trouve entre les deux périodes de pluie annuelles. La première, la moins forte, s’étend de mars à mai, la deuxième commence à mi-juillet et dure trois mois. « La pluie est alors comme un rideau, 24 heures sur 24 et pendant des jours et des jours », raconte Blanca Jungo. Si les températures baissent un peu, l’humidité de l’air est encore plus élevée.

C’est au milieu d’une région inhospitalière, sans beaucoup d’habitat alentour, qu‘Yvette El Fen a créé une sorte de village Pestalozzi, après de longues années de préparation. Si elle a volontairement choisi cette région, c’est parce qu’elle a pu constater lors d’un de ses voyages combien immense était la détresse des enfants. « J’ai vu des enfants affamés et abandonnés qui tombaient au bord de la route et mouraient », se souvient-elle. Les familles n’arrivaient pas à se nourrir en cultivant cette terre aride. De plus, il y avait beaucoup de morts de la malaria, ce qui précipitait les familles dans la misère.

Grâce à de l’argent qu’elle avait récolté autour d’elle, elle a acheté deux hectares de savane sur un haut plateau, puis a commencé de construire peu à peu les infrastructures. « Il faut sûrement être un peu fou pour réaliser quelque chose comme ça », dit-elle en riant. Elle a poursuivi avec ténacité son objectif de créer de meilleures perspectives d’avenir pour ces enfants. Avec le temps, l’association AVE est née, sur la base de son initiative individuelle. AVE signifie Avenir et Espoir.

Au début, il y avait un jardin d’enfants et deux bâtiments familiaux dans lesquels vivaient les enfants, entourés par des femmes des villages environnants. S’y est ajoutée une fontaine, et avec elle l’eau courante est apparue dans les bâtiments. Le projet suivant était un incinérateur, car l’institution abrite beaucoup de petits enfants et utilise beaucoup de couches pour bébés. « Personne ne veut des bébés », dit Blanca Jungo. « Ils coûtent cher… ». Avec un bon job, un homme peut gagner environ 70 francs par mois. « Mais le lait en poudre et beaucoup d’autres aliments sont aussi chers que chez nous !». L’inflation a été énorme au cours des dernières années.

Ont été créés ensuite un atelier de couture pour occuper les veuves, un poulailler, des ruches et une place de jeux avec un pavillon pour faire de l’ombre. Durant les quatre dernières années, un entrepôt a été transformé en dortoir pour les garçons plus âgés, et un moulin à céréales a été installé. La place de jeux est maintenant équipée, et un enclos abrite des moutons, des chèvres et des cochons. Il y a aussi désormais un petit bain thérapeutique, dans lequel peuvent être traités les enfants, souvent très traumatisés et parfois handicapés.

« Nous sommes au paradis ! », s’est exclamé Jean, le responsable local du village d’enfants, lorsque l’installation solaire a commencé de produire du courant le 29 décembre 2021 et que la lumière s’est allumée comme par magie. Auparavant, l’institution était déjà reliée au réseau électrique du pays, mais il n’y avait pas toujours du courant. « Nous ne savions jamais quand nous aurions du courant et combien longtemps. On n’en avait souvent que pendant quelques heures par jour, voire pas du tout », relate Yvette El Fen.

Comme le village d’enfants a maintenant atteint une certaine taille, l’exploitation serait difficile si par exemple la machine à laver ou le séchoir ne pouvaient pas toujours fonctionner, car la lessive ne peut pas sécher dehors à cause de la forte humidité de l’air. Il faut aussi avoir de l’électricité pour garder les vivres et les médicaments au frais, et pour la cuisine. Avec ses 30 kilowattheures, la pompe à eau, qui peut aussi être actionnée à la main, fonctionne bien. « Avec la nouvelle installation solaire, c’est presque du luxe“, commente Blanca Jungo.

Comme l’installation produit du courant excédentaire par rapport aux besoins du village d’enfants, le moulin peut rester en exploitation plus longtemps et la population pauvre des environs peut venir y faire moudre ses céréales gratuitement.

En réalité, le projet solaire aurait déjà dû être réalisé en 2019. La somme nécessaire de CHF 150’000.- avait été réunie, grâce à des dons de Suisse et à une contribution de l’organisation Fribourg-Solidaire, qui est soutenue par le canton et la Confédération. Mais la pandémie de covid a entraîné des problèmes de livraison des containers maritimes, qui auraient dû transporter le matériel de la Suisse vers le Togo. Le matériel de construction est aussi devenu plus rare et plus cher. Le ciment par exemple a vu son prix tout à coup doubler. « Mais finalement, nous avons eu de la chance », dit Blanca Jungo : « Grâce à ces retards, nous avons pu bénéficier de conditions plus avantageuses pour l’achat de l’installation ». Cela a permis d’acquérir en plus un accumulateur pour stocker l’énergie – ceci dans la perspective d’une augmentation future des capacités

L’installation a dû être très bien planifiée, car elle ne pouvait se faire que pendant la saison sèche. Tout a finalement fonctionné à merveille. Le matériel a été envoyé l’été dernier. Yvette El Fen et Blanca Jungo, accompagnées de trois ingénieurs de Suisse, sont parties en décembre pour Sotouboua. Le professeur de la Haute Ecole de Sion qui a fait les calculs pour le projet de l’association était ainsi du voyage. Un de ses anciens élèves a repris la planification de détail, et un troisième ingénieur technique, le fils d’Yvette El Fen, s’est chargé de jouer un peu l’homme à tout faire. Tous les trois ont travaillé bénévolement, pendant leurs vacances. Mais les travailleurs locaux qui ont aidé à poser les supports des panneaux solaires sur les toits et à construire le local annexe ont pour leur part été rémunérés. L’argent était même suffisant pour installer encore un peu de technologie : ainsi, on peut même surveiller le bon fonctionnement de l’installation solaire depuis la Suisse !

Les deux Singinoises sont satisfaites du développement du village d’enfants. « Nous avons de très bonnes personnes sur place », déclare Yvette El Fen, qui se rend une ou deux fois par an dans le pays. « Nous ne sommes pas encore au bout de nos projets, mais nous avons déjà fait de grands pas en avant », ajoute Blanca Jungo. Le plus important est de réaliser des projets durables. Ainsi, les propositions d’aides sont toujours adaptées aux réalités et aux mentalités de la région. Mais pour mettre en œuvre ses visions, Yvette El Fen mise volontiers sur un travail de qualité suisse. Avec des structures claires, une bonne communication et un réel ancrage local, les chances de succès sont optimales, même dans un pays dans lequel les progrès que l’on connaît dans le monde occidental sont encore largement absents.

En écoutant les deux femmes, il est clair qu’elles ne vont pas se reposer sur leurs lauriers. Le matériel pour construire des douches et des toilettes supplémentaires est déjà sur place. Il s’agit maintenant de trouver de l’argent pour les finitions intérieures, par exemple les carrelages au sol et sur les parois. L’emplacement du frigo est aussi déjà prêt, et Blanca Jungo, ancienne maîtresse d’école enfantine, souhaite que la place de jeu soit clôturée. « Nous sommes perdus au milieu de la brousse et nous ne voulons pas prendre le risque qu’un enfant s’égare ».

L’association AVE est responsable de 75enfants

L’œuvre d’entraide AVE s’occupe aujourd’hui de 75 enfants, pour la plupart orphelins. Certains ont seulement quelques mois, d’autres sont en formation à l’école, en apprentissage ou à l’université. « Nous recevons beaucoup en retour », dit Yvette El Fen. Les premiers enfants dont AVE s’est occupé ont maintenant eux-mêmes une famille et hébergent d’autres enfants AVE en formation. L’une des jeunes filles est devenue infirmière et soutient les neuf « Mamans », comme on les appelle au village, et qui sont des employées fixes d’AVE. Plusieurs enfants des environs sont conduits au jardin d’enfants dans le village AVE. « Ils ne viennent pas pour le jardin d’enfants, mais pour recevoir trois repas par jour, ce qu’ils n’auraient pas à la maison », précise Yvette El Fen. L’association AVE soutient aussi d’autres offres pour les familles dans la région de Sotouboua, par des dons en nature. L’association se finance elle-même par des dons et des parrainages.